Lorsque la première saison de Vikings a été diffusée sur la chaîne américaine HISTORY, elle a fait l’effet d’une bombe, lançant, par la même occasion, une mode de nouvelles productions au sujet de ces envahisseurs nordiques. Ces dernières, étant plus souvent des films qui sortent directement en DVD, se cachent dans l’ombre de la création de Michael Hirst qui règne donc en maître. Pourtant, cette souveraineté semble toucher à sa fin au vu des récentes critiques sur le dénouement de la quatrième saison et la première partie de la cinquième. Concernant les audiences, celles-ci baissent aussi considérablement, symbolisant ainsi un certain désintérêt des téléspectateurs nord-américains. De plus, la mort du personnage principal n’a pas aidé la série, et c’est donc à travers ces différentes caractéristiques que nous verrons pourquoi Vikings est effectivement en déclin.
Premièrement, revenons en arrière afin de remettre les pendules à l’heure. La série raconte le parcours d’un certain Ragnar Lodbrok, un fermier devenu roi. Généralement, le schéma narratif des trois premières saisons est le même : Ragnar a un plan/une idée qu’il communique à ses proches et qui va le lancer dans une quête. Ensuite, il rencontre des personnages, dont la plupart sont des futurs adversaires qui le convoitent et le jalousent. Ces antagonistes vont prendre le dessus sur le protagoniste principal en l’affaiblissant de toute part ; ils s’en prennent surtout à sa famille. Enfin, Ragnar sort de son esprit intellectuel supérieur un nouveau plan pour s’en sortir et vaincre ses ennemis de la manière la plus violente et efficace qui soit. La saison quatre, quant à elle, ajoute une nouveauté en se divisant en deux parties de dix épisodes. La première partie, suite directe de la troisième saison, montre un Ragnar victorieux, certes, mais au plus mal. La fin de son arc narratif approche à grand pas. L’épisode quinze de la deuxième partie marque un énorme tournant dans la série puisque, avant de mourir, Ragnar passe le flambeau à son fils Ivar. Le spectateur ne s’attendait pas à un tel retournement de situation, puisqu’il était persuadé de voir l’aîné, Björn, endosser le fardeau du roi légendaire. Or, c’est bien à Ivar le Désossé que revient le titre de nouveau personnage principal. Du moins, en apparence…
Le programme s’appelle Vikings, mais traitait d’un seul personnage principal dont tous les autres dépendaient. Tout tournait autour de Ragnar Lodbrok, même ses ennemis n’existaient que pour lui, alors que c’est souvent le contraire dans un schéma narratif de base. Il s’avère en effet qu’il était le seul à avoir un réel but, ou du moins, le seul dont les ambitions étaient claires. Les autres intervenants ne servaient que de réaction ou d’opposition à ses ambitions. Après sa mort, l’histoire a été déchirée en plusieurs morceaux : il n’y avait plus de centre, et même si l’on pouvait penser qu’Ivar incarnerait cette plaque tournante, des personnages comme Floki, Björn, Ubbe ou Lagertha commençaient à s’affirmer au travers de nombreuses quêtes au début de la cinquième saison. Certaines ne sont pas claires, voire inutiles comme la quête de Floki et celle de Björn dans le désert. D’autres viennent de nulle part (Harald, personnage présenté en fin de saison quatre et qui sort de l’inconnu) ou n’ont tout simplement pas lieu d’être comme la quête de Lagertha.
En outre, il convient de s’appesantir sur le traitement scénaristique réservé aux femmes : Michael Hirst, créateur de la série et unique scénariste de tous les épisodes, ne sait pas écrire et exploiter ses personnages féminins. Chaque fois qu’une figure féminine apparaît, elle ne sert qu’à développer un personnage masculin. À la mort de son mari, Sigi sert de développement à Rollo : elle va lui montrer que lui aussi peut prétendre au même succès que Ragnar, et une fois morte, Rollo n’aura plus rien pour lui à Kattegat, il doit alors trouver sa voie ailleurs. Aslaug, elle, permet à Ragnar d’avoir la grande descendance qu’il souhaite, et est le moteur émotionnel d’Ivar. Seule Helga peut comprendre et accepter la folie de Floki et sa mort donnera à ce dernier une quête d’ordre divin. Quant à Lagertha, son cas semble plus particulier. Alors que les autres femmes n’existent que pour épauler les hommes, l’écriture de Lagertha, première femme de Ragnar, peut laisser croire qu’elle n’a plus vraiment sa place dans cette série ou qu’elle sert juste de miroir à l’actualité de notre société. En effet, à l’heure où le féminisme est de plus en plus grandissant, elle semble incarner la femme forte qui se bat pour son droit, mais est-ce que le fait de lui mettre une épée et un bouclier et de la placer sur les champs de batailles fait d’elle une femme forte ? Qu’en est-il de Helga, Aslaug, Sigi et Judith ? Ne sont-elles pas fortes à leur manière ? Le second miroitement se voit dans le changement d’appartenance sexuelle de Lagertha pour faire écho aux mouvements LGBT qui s’affirment de plus en plus. Ce changement, qu’on peut défendre par le fait qu’elle a rarement eu de bonnes expériences avec les hommes, sort tout de même de nulle part, prouvant ainsi que le scénariste ne sait plus quoi faire de ce personnage.
Toutefois, le plus gros souci de la série est sans aucun doute l’utilisation des ellipses. Il y en a toujours eu, mais depuis la saison quatre et la division en deux des saisons, et surtout, depuis la mort de Ragnar, elles apparaissent de plus en plus et ce, de façon très grossière. Les enjeux prennent beaucoup d’ampleur et augmentent la tension du téléspectateur, mais une fois le dénouement arrivé, une ellipse vient tout désamorcer. Cela peut se voir clairement lorsque les fils Lodbrok préparent une grande armée – la plus grande jamais rassemblée par leur peuple – afin de venger la mort de leur géniteur. Une fois que le combat tant attendu entre les cinq marcassins et le roi Aelle, responsable de la mort du vieux sanglier, commence, une ellipse ne permet pas au public d’assister à cet affrontement qui a sans doute dû être dantesque. Autre exemple d’ellipse scandaleuse : la mort d’Aethelwulf. Ce dernier, seul personnage anglais intéressant depuis la mort de son père, le roi Ecbert, se fait ridiculement tuer par une abeille après qu’une ellipse soit venue interrompre un de ses discours qui annonçait la fin de l’ère des invasions nordiques. Ces ellipses violentes sont le résultat d’un surplus de personnage et d’un manque de gestion des enjeux. Beaucoup de protagonistes sont introduits, mais peu sont développés. De plus, les anciens personnages toujours présents bloquent la progression des nouveaux venus. Par conséquent, plus l’histoire avancera, plus les ellipses se feront présentes puisque la série est actuellement en train de faire le ménage : la fin de l’ère des vikings étant justement en approche, vu qu’Alfred, connu pour être le roi qui les a chassés d’Angleterre, vient d’être couronné dans la cinquième saison.
Fallait-il pour autant arrêter le programme après la mort de Ragnar ? Non, car ses fils ont enfin une ouverture pour briller ; hormis Ivar cependant, les autres perdent rapidement de l’intérêt. La mort de Ragnar, qui annonçait enfin une réelle unité entre vikings et une possibilité de voir d’autres pirates nordiques, n’a fait qu’éteindre tout espoir, alors que le tournant et les promesses annoncés par cette disparition semblent tarder à venir. Dans les premières saisons, le récit regorgeait de surprises mais depuis, tout semble tourner en rond et en longueur, laissant même des épisodes fillers voir le jour. La première partie de la saison cinq n’a fait que baisser en qualité, et son final ridicule a confirmé cette aberration. Les producteurs pensent qu’il faut rajouter davantage d’action, ce qui ne peut que faire plaisir, vu les incroyables chorégraphies des combats. Cependant, si Vikings a plu au départ, à une époque où le budget de la série était assez petit, c’était avant tout grâce à l’histoire racontée, celle d’un fermier altruiste et aux ambitions fortes devenu roi pour sauver sons peuple.