Cinéma
Les psychopathes vus par le cinéma
Que ce soit dans les thrillers où ils sont plutôt centraux ou en tant que personnages secondaires dans certaines séries, les psychopathes ont plus d’une fois effrayés voire écœurés les spectateurs. Au départ, ils sont surtout incarnés par des acteurs masculins mais les vedettes féminines leur prêtent de plus en plus leurs traits.
Si la psychopathie est une maladie peu connue déjà chez les hommes, elle l’est d’autant moins chez les femmes – 3% d’hommes contre 1% de femmes sont reconnus psychopathes1. Ceci pourrait expliquer que cette folie ait tardivement frappé les personnages féminins qui, pourtant, glacent tout autant le sang. La psychopathie fonctionnerait de manière différente chez les femmes : si les hommes privilégient souvent le viol et/ou le meurtre, les femmes se concentrent plutôt sur l’argent et/ou la manipulation. Ces caractéristiques, propres à chaque genre, se retrouvent dans les films qui leur donnent vie. Retour sur cinq de ces personnages.
Jonathan Wolverton Randall dit « Black Jack » (Outlander)
Dans la série de Ronald D. Moore, Claire, une infirmière de guerre anglaise, se retrouve magiquement téléportée depuis 1945 dans l’Écosse révoltée de 1743. Confrontée à la violence de cette époque, elle est, dans un premier temps, protégée par le clan Mackenzie. Elle rencontre sur les terres de ce clan – le château de Leoch – un Highlander recherché par les forces anglaises, Jamie Fraser. Leur histoire d’amour voit le jour après qu’ils se soient mariés contre leur volonté. Ils combattent ensemble de nombreux dangers et le plus noir de ces derniers est un ennemi commun : Jonathan Randall, membre de la garde des soldats anglais. La volonté profonde de ce capitaine dérangé est de posséder Jamie, pour qui il ressent une attirance sexuelle.
Tout commence en 1740 lorsque Randall vient collecter avec ses hommes la taxe imposée aux fermiers écossais entourant la prison de Fort William. Arrivés à Lallybroch, demeure familiale de Jamie, il s’en prend à sa sœur Jenny, qu’il menace de violer. Pour la protéger d’un tel acte, Jamie proteste. Il est alors fait prisonnier pour obstruction. Alors qu’il est emprisonné au Fort, Randall le fouette presqu’à mort car il est frustré que Jamie ait refusé le marché qu’il lui avait proposé : être sodomisé plutôt que fouetté. Jamie parviendra à s’échapper malgré ses blessures conséquentes mais la garde anglaise mettra à nouveau ses mains sur lui. Cette fois sa sentence est la pendaison. Randall intervient in extremis pour qu’il bénéficie d’un sursis mais c’est en vérité un stratagème pour satisfaire ce qu’il n’avait pu obtenir la dernière fois.
Coincé dans une cellule avec son bourreau, Jamie est alors violenté et violé par le capitaine. Cet événement le brisera : la particularité de Randall est qu’il est un pervers sadique – son plaisir sexuel n’émane pas seulement des dommages physiques qu’il cause à ses victimes, il est aussi provoqué par l’angoisse psychique qu’il provoque. Ainsi, Jamie, délirant de douleur après que Randall lui ait explosé la main droite avec un marteau, pense voir sa femme Claire plutôt que son bourreau. S’il résiste au départ à la sodomie que Randall s’apprête à lui faire subir, il finit par abandonner cette volonté de résistance, ce qu’il ne se pardonnera pas.
Ces scènes sont explicitement montrées au spectateur sous forme de flashbacks. Le professionnalisme des deux acteurs, Tobias Menzie (Jonathan Randall) et Sam Heughan (Jamie Fraser) laisse sans voix.
Greta Hideg (Greta)
Dans le thriller de Neil Jordan, Greta Hideg vit à New-York dans une petite maison retirée, voire insoupçonnée. Son activité première ? Volontairement délaisser des sacs dans le métro dans l’espoir qu’une jeune femme aura la bonté et l’honnêteté de le lui ramener à son domicile. Une fois entrée dans la vie de Greta, cette jeune femme devient sa victime : Greta apprend à la connaître autour d’une tasse de thé pour mieux exploiter ses faiblesses. Elle se présente comme une veuve esseulée, triste, au quotidien vide et en désespoir de compagnie car sa fille mène sa vie de l’autre côté de l’Atlantique. Car Greta est française, on l’entend lorsqu’elle parle anglais mais aussi lorsque la voix de Lucienne Delyle traverse le séjour de sa demeure pour chanter Sous les ponts de Paris. Mais un doute sur son identité subsiste : est-elle réellement la veuve qu’elle prétend être ?
Greta est froide, elle joue un rôle oscillant entre mystère et banalité, entre retenue et familiarité. Elle inspire l’angoisse lorsqu’elle joue Liesbestraum de Liszt et que sa musique est interrompue par des coups stridents qui se répercutent contre le mur de son séjour. Mais elle les prétend assénés par les voisins… Greta possède aussi un charisme particulier qui fascine : ses manières délicates contrastent fortement avec ses actions violentes, nées de la fureur qu’elle éprouve à l’égard du monde dans lequel elle évolue. Elle cherche à le cacher mais en vain, sa folie prend le dessus. La prestation donnée par Isabelle Huppert est finalement tragique : Greta est une mère psychopathe, héritée d’Hitchcock, à la voix troublante (pour la version originale, la version française n’est pas doublée par Isabelle Huppert). Elle cherche à combler le vide de sa vie en s’attaquant à d’autres, les attire à elle, suscite leur compassion. Elle est comme un chewing-gum : elle colle la semelle, elle est difficile à faire partir.
Dans le cas de Frances (Chloré Grace Moretz), Greta devient donc la mère qu’elle a perdu. Mais rien ne justifie que Greta s’en prenne à cette jeune femme sincère qui lui ramène son sac, si ce n’est une fragilité et une naïveté évidentes. Quelles raisons peuvent expliquer qu’elle la séquestre dans une pièce minuscule cachée dans son séjour à l’arrière de son piano ? Un traumatisme d’enfance ? Un sentiment d’abandon ? La sensation de ne pas être aimée ?
Ces questions que l’on se pose produisent une implication émotionnelle alors que Greta est une sociopathe, là réside un paradoxe. Tantôt elle nous effraie, tantôt ses remarques ironiques donnent le sourire, tantôt sa manière d’être agace, tantôt ses agissements impressionnent parce qu’elle franchit des limites qui mettent mal à l’aise – comme lorsqu’elle crache son chewing-gum dans les cheveux de Frances… Greta nous touche donc en notre for intérieur.
Joseph Goldberg dit « Joe » (You)
Dans la série de Greg Berlanti et Sera Gamble, Joe (Penn Badgley) est le gérant d’une petite librairie new-yorkaise. Lorsque Guinevere Beck (Elizabeth Leil) vient acheter un livre, elle est pour lui un véritable coup de foudre. Il la retrouve via les réseaux sociaux et sans même qu’elle le sache, Beck devient son obsession. Il l’observe, la suit, apprend virtuellement à la connaître et se persuade qu’ils sont faits pour être ensemble. Il met alors sur pied un plan pour entrer dans sa vie et, finalement, devenir son petit-ami. Mais avant même qu’ils ne forment un couple, Joe décide de supprimer tous les « obstacles » qui se trouvent sur leur route, c’est-à-dire toutes les difficultés qu’il considère comme étant difficilement surmontées par Beck. Ainsi, il tue son ex petit-ami qui cherche à garder le contact. Par la suite, c’est au tour de son amie Paige (Shay Mitchell) – elle-même perverse narcissique – que Joe tue après s’être introduit dans sa maison pour surveiller le week-end qu’elle passe en compagnie de Beck. Enfin, ce le psychologue que Beck voit car, dans un moment de faiblesse, elle a couché avec lui…
Comme tout psychopathe, Joe possède un repère secret : le sous-sol de sa librairie, dans lequel il a lui-même subi des violences lorsqu’il était jeune apprenti. Il y emmènera certaines victimes, qu’il enferme dans une cage de verre glacée, destinée au départ à conserver les vieux livres dans un bon état. Beck s’y retrouvera-t-elle, elle aussi ? Il est certain que s’échapper des griffes de celui qui prétend l’aimer sera compliqué. D’abord parce que Joe connaît le moindre de ses mouvements et toutes ses conversations privées depuis qu’il lui a volé son téléphone un soir qu’elle était saoule. Ensuite parce que lorsqu’elle découvre la vérité sur Joe, il la tient responsable de ses actes : c’est pour elle, pour eux, par amour qu’il a fait tout ce qu’il a fait !
Si certains remettent la prestation de Penn Badgley à son rôle de Dan Humphrey dans Gossip Girl, il est évident que son interprétation de Joe est terrifiante car à nouveau, une implication émotionnelle se produit : Joe ne ressent-il vraiment aucun sentiment ? Sur le réseau social Tumblr, certains ont partagé leur ressenti : malgré les horreurs qu’il produit sans état d’âme, Joe n’est-il pas touchant ?
Emily Nelson (Dans l’ombre d’Emily)
Dans le thriller de Paul Feig, Stéphanie (Anna Kendrick) est la maman parfaite : elle participe à toutes les activités de l’école de son fils, est bonne cuisinière (elle partage ses recettes sur un vlog), est attentionnée et aimante. Assez esseulée depuis la mort de son mari et moquée par les autres parents, sa vie change le jour où elle rencontre son opposé : Emily. Carriériste, cette femme dispose d’une grande confiance en elle : aussi mère d’un petit garçon, s’occuper de lui est plutôt une activité secondaire car elle préfère boire et passer du bon temps avec son mari. Mais Stéphanie et Emily deviennent amies et partagent leurs secrets intimes au fil du temps. Si la naïveté de Stéphanie la fait se sentir en confiance, tout bascule lorsqu’Emily disparaît en lui abandonnant son fils. Stéphanie mène alors son enquête et découvre que celle-ci n’est pas morte ; le corps que les forces de police ont retrouvé n’est pas le sien mais celui de sa sœur jumelle… qu’Emily a tué.
Emily – comme Greta – possède un extraordinaire charisme. Lorsqu’elle sort de sa voiture, abritée derrière son parapluie, ses cheveux voltigeant dans le vent et ses pieds enfermés dans des escarpins à talons aiguilles, une aura de confiance se dégage d’elle. Stéphanie manquant d’assurance, elle pense pouvoir évoluer en la fréquentant et devient l’amie sur laquelle Emily peut constamment compter. Pourtant, Stéphanie n’est qu’un pion dans son jeu malsain.
Dans le monde cinématographique, il semble que les femmes machiavéliques possèdent, en fin de compte, une certaine puissance. Viendrait-elle du mythe de la femme fatale ? De cette idée que les actions d’une femme peuvent être plus vicieuses, plus ignominieuses que celles des hommes parce qu’elles ont pour tendance de s’attaquer à l’esprit plutôt que de causer une violence physique ? Est-ce ce qui, paradoxalement, trouble et/ou fascine ? Elles ne sont pourtant pas les seules à jouer ces rôles, comme on le voit avec Randall et Joe.
Bryce Walker (13 reasons why)
Dans la série de Brian Yorkey, Hannah (Katherine Langford) a mis fin à ses jours en laissant sept cassettes qui expliquent les treize raisons de son geste. Clay (Dylan Minnette) découvre avec horreur l’histoire de son amie, qu’il aimait secrètement. Ses sentiments le poussent à vouloir lui rendre justice car Hannah désigne ceux qu’elle considère coupables de sa décision. Parmi les noms cités se trouvent celui de Bryce (Justin Prentice) : alors qu’Hannah avait déjà le moral au plus bas, il a pris avantage sur elle lors d’une soirée pour la violer dans la piscine. Clay souhaite lui faire avouer ce qu’il a fait car Hannah n’est pas sa première – ni sa dernière – victime.
L’interprétation de Justin Prentice fut si convaincante qu’elle en donne la nausée. Lorsque l’on voit son premier crime, il profite de l’inconscience de Jessica (Alisha Boe), la petite amie de son meilleur ami, pour la violer chez elle dans sa chambre lors d’une soirée. Jessica ayant bu, elle n’a pas vraiment de souvenir de cet épisode traumatisant – jusqu’au jour où elle réalise… Entre-temps, Bryce s’est attaqué à Hannah dans des circonstances similaires puisqu’il la viole aussi lors d’une soirée. Lorsque Clay cherchera à lui faire admettre les faits, Bryce dira que c’était ce qu’Hannah cherchait. Le dégoût et le mal-être que la réponse du personnage inspirent vont de pair avec la représentation de la scène : les poignets d’Hannah se heurtent contre le rebord de la piscine, comme si ce rebord lui tailladait déjà les veines, annonciateur de son acte final. Ce dégoût et ce mal-être vont également de pair avec la suite des agissements de Bryce : après ces événements, il rencontre Chloé (Anne Winters) qui devient sa petite-amie. La manière dont il cherche à coucher avec elle ne manquera pas de rendre le spectateur également nauséeux.
Dans 13 reasons why, le spectateur est toujours prévenu au début des épisodes violents que des scènes difficiles seront montrées. Le but de la série est, après tout, de dénoncer les atrocités qui peuvent survenir à l’école secondaire, raison pour laquelle les épisodes se veulent explicites dans leur représentation. Il semblerait que l’acteur Justin Prentice ait d’ailleurs subi la colère sur les réseaux sociaux de fans choqués par les scènes qu’il joue. Ces rôles de psychopathes posent donc vraiment question : jusqu’où la violence peut-elle être représentée ?
Pourquoi ces personnages sont-ils des psychopathes finalement ?
Tous font preuve d’une indifférence froide : ils sont incapables d’entrer dans l’univers émotionnel de ceux qui les entourent. Par exemple, Randall ne se soucie pas de briser Jamie, il se soucie de satisfaire son désir homosexuel par la violence ; Greta n’est pas touchée par la perte de Frances alors qu’elle-même est esseulée, elle cherche seulement à combler le vide de son existence. Tous font aussi preuve d’irresponsabilité car ils n’assument pas leurs actes. Par exemple, Joe ne comprend pas pourquoi Beck est terrorisée lorsqu’elle découvre qu’il a tué des personnes de son entourage proche car pour lui, il était normal de les évincer ; Bryce ne reconnaît pas avoir violenté des jeunes femmes, il déporte la faute sur elles en disant que c’était ce qu’elles voulaient.
Les psychopathes font donc aussi preuve d’une absence de culpabilité et ont tendance à blâmer les autres pour leurs actions criminelles. Ils ne tolèrent pas non plus la frustration, raison pour laquelle ils peuvent très vite perdre patience, comme lorsqu’Emily découvre que son mari a tourné la page avec Stéphanie après sa disparition et le menace d’une arme au restaurant. Les psychopathes ne ressentent en effet pas la honte ou la peur, raison pour laquelle Greta n’est pas gênée de renverser la table du restaurant où Frances travaille parce qu’elle refuse de lui parler et qu’elle n’est pas non plus effrayée de s’enfoncer une aiguille dans sa chair pour soulager son mal après que Frances l’ait amputée de deux doigts dans une tentative de fuite.
Ces personnages sont donc effrayants et comme souvent, le cinéma produit une bonne mise en garde. Si réalité et fiction sont toujours à distinguer l’une de l’autre, les histoires sont aussi faites pour nous donner des clés. Évitons donc de les « naturaliser », soit de les banaliser à force de les avoir trop souvent regardées sous différents angles. Tirons encore des leçons de leurs trames, tout en restant réalistes…