L’érotisme représente un pan important de la création artistique. Ce sujet universel captive depuis toujours les artistes qui expriment leur intérêt pour le thème au travers d’œuvres sensuelles. Littérature, peinture, sculpture et même cinéma, aucun domaine n’y échappe. Tous comportent une dimension érotique et incluent dans leur panel de genres un champ qui lui est dédié. Dans Qu’est-ce que le cinéma ?, André Bazin s’intéresse à cet état de fait et se questionne sur les spécificités de la représentation érotique au cinéma et sur ses différences avec les autres arts. En étudiant ce chapitre nous essaierons de comprendre comment ce média de l’image traite de la sexualité et quelles sont ses différences de représentations avec les autres arts.
Historique de la sexualité dans les arts
André Bazin débute son chapitre sur l’érotisme au cinéma en évoquant le fait que tous les domaines artistiques disposent d’un secteur spécifique dédié à la sensualité et la sexualité. Il constate dans cette introduction qu’un pan entier de la littérature est consacré au sujet. Une constatation irréfutable. Déjà au XVIIIème siècle le Marquis de Sade exprimait au fil de sa plume des propos tendancieux explicites. Plus sobre mais tout aussi sensuel et évocateur le livre Les liaisons dangereuses écrit par Choderlos De Laclos en 1782 traitait du sujet. L’auteur de Qu’est-ce que le cinéma ? remarque également que l’érotisme prend une ampleur croissante dans la littérature populaire de son époque. Une constatation qui ne perd pas de sa pertinence aujourd’hui, à une époque ou une série de livres basée exclusivement sur la sexualité intitulée Cinquante nuances remporte un succès fracassant lui valant même une adaptation sur grand-écran. Seulement, Bazin explique que ces œuvres appartiennent à un domaine spécifique de la littérature de la même manière que le nu dans les estampes, la peinture et la sculpture ne sont qu’une composante d’un secteur plus diversifié, hétéroclite. Or l’érotisme au cinéma apparaît selon lui comme “un projet, un contenu fondamental” En effet la plupart des films évoquent le thème ou comportent des scènes qui le mettent en exergue. Malgré une censure qui vient parfois entraver l’expression complète et explicite de représentations trop graphiques, les cinéastes parviennent au prix d’une créativité vivace à évoquer au travers de symboles ce sujet qui semble fasciner les foules.
Malgré une censure qui vient parfois entraver l’expression complète et explicite de représentations trop graphiques, les cinéastes parviennent au prix d’une créativité vivace à évoquer au travers de symboles ce sujet qui semble fasciner les foules.
A ce propos l’auteur mentionne indirectement le Code Hays en vigueur aux états unis entre 1933 et 1966. Il explique que les mœurs puritaines du pays limitent l’expression de la sensualité. Il n’exhale pas cependant ce code de censure. Bien au contraire. Il dit que les critères de limitation imposés n’ont pas de légitimité et la mise en vigueur d’un tel code officiel est finalement assez absurde car cette réglementation est établie par de juges arbitraires. Chacun à ses propres tabous moraux, ses propres interdits sociaux. Tout dépend de notre éducation. Les censeurs n’ont donc aucun bon droit à régir ce qu’une globalité d’artistes a le droit ou n’a pas le droit de faire et ce qu’une globalité de gens peut ou ne peuvent pas regarder.
Il développe sa thèse en expliquant que ce genre d’initiatives sont des restrictions créatives et qu’elles ne servent de toute manière à rien. Malgré sa réglementation assez rigide Hollywood reste “la capitale de l’érotisme cinématographique”. Pour ne citer que lui, Hitchcock était passé maître dans l’art de l’analogie sexuelle. L’une de ses métaphores érotiques les plus célèbres se trouve à la fin de son film La mort aux trousses qui s’achève par l’entrée d’un train dans un tunnel après que les deux personnages principaux se soient enlacés sur une couchette. Cette séquence suggère de manière détournée mains néanmoins évocatrice l’acte sexuel. Mais à quoi servent ces sous-entendus ? Quel est le projet réel de la sexualité au septième art ? Son rôle est-il exclusivement de faire du profit en attirant les âmes libidineuses au cinéma ou revêt-il un sens plus « profond » ?
L’érotisme comme argument commercial
Bazin s’interroge sur les réelles raisons de l’omniprésence érotique au cinéma. En s’appuyant sur la réflexion d’un autre théoricien du cinéma du nom de Lo Duca, il théorise le fait que cette ferveur cinématographique pour la sexualité est peut-être motivée par des impératifs marketing. La sensualité étant un sujet universel jouant sur des pulsions primaires, elle permet d’attirer aisément les spectateurs en salle. La sensualité est alors mise au service du ”jeu capitaliste” pour reprendre les termes de Bazin. Si cette supposition n’est pas tout à fait exacte, elle conserve une part de vérité importante et trouve dans notre société actuelle un écho amplifié. Avec la libération de mœurs, tout, ou presque, est possible à l’écran si bien que les producteurs ne se gênent plus pour capitaliser le succès de leurs films sur les pulsions libidineuses des spectateurs. La série des Cinquante nuances mentionnée ci-dessus en est l’exemple parfait. L’adaptation cinématographique des livres rencontre un franc succès publique grâce à une notoriété sulfureuse bâtie sur son traitement particulier de la sexualité.
En effet, l’œuvre parle d’une femme qui rencontre un homme aux habitudes sexuelles dominatrices. Cravache et liens en tous genres composent le quotidien de la vie érotique des deux amants. L’entièreté du film repose sur ces pratiques peu orthodoxes. L’aspect artistique est totalement négligé et négligeable. La sortie de chaque nouvel épisode est d’ailleurs accueillie favorablement par les tenanciers de sex-shop qui voient leur chiffre d’affaire grimper après la sortie de chaque épisode. Le dernier opus en date a également entraîné chez Decathlon une hausse de ventes de cravaches. Un tel impact montre bien que l’argument marketing majeur du film réside dans son sujet sexuel tendancieux. La série s’impose comme une réponse au questionnement final de Bazin sur le sujet, à savoir : littérature et cinéma peuvent-ils se permettre les mêmes choses ? La réponse est plutôt affirmative même si cet exemple dispose de paradoxes. D’un coté il montre que la littérature érotique peut bel et bien être transposée à l’image et de l’autre il montre que les producteurs n’osent pas encore être trop choquants dans leur représentation graphique du sexe. Portés par l’envie d’engranger un bénéfice maximum ils préfèrent tempérer les scènes trop abruptes pour pouvoir accoucher d’un film grand public visibles par le plus grand nombre. Ce qui est donc paradoxal. Il n’y a aucun doute, cette œuvre joue, comme le dit Bazin, “le jeu du capitalisme”.
La sensualité étant un sujet universel jouant sur des pulsions primaires, elle permet d’attirer aisément les spectateurs en salle. La sensualité est alors mise au service du ”jeu capitaliste” pour reprendre les termes de Bazin. Si cette supposition n’est pas tout à fait exacte, elle conserve une part de vérité importante et trouve dans notre société actuelle un écho amplifié.
Et les exemples du genre sont nombreux. Car si certains films n’axent pas leur sujet sur la sexualité, ils intègrent dans leur ADN une forte dimension érotique. La série des James Bond illustre parfaitement cela. Son personnage d’homme fort et charismatique, de mâle séducteur capable de séduire les plus belles femmes du monde pour coucher avec elles joue avec les fantasmes primaires des hommes et les exalte. Par identification le spectateur vit ces péripéties par procuration et apprécie le sentiment que cela lui procure. L’image du super-espion aux multiples aventures sexuelles fait pleinement partie de la vitrine du film. C’est un de ses arguments les plus aguicheurs, c’est une partie essentielle de sa caractérisation. Tout cela concourt à attirer une certaine tranche de spectateurs en salles. Seulement la sexualité peut aussi avoir un traitement habile et véhiculer des messages.
L’érotisme un sujet comme les autres
L’érotisme est un sujet comme les autres. C’est une constituante importante de la vie qui concerne chacun. A ce titre, il mérite autant que d’autres thèmes d’être abordé. D’autant qu’il peut, malgré ses tabous, être porteur de véritables messages et de dénonciations. Le film La Grande Bouffe de Marco Ferreri n’idéalise pas la sexualité ! Devant sa caméra l’érotisme n’est pas magnifié. Au contraire ! Son récit nous met face à une orgie immonde. L’érotisme est lié à une débauche écœurante de nourriture, chose qui fait voler en éclats son apparence glamour. Il n’y a aucun sex-appeal dans les scènes de nudité présentées. La sexualité n’est pas utilisée comme moyen de promotion dédié à charmer les spectateurs. Son but premier est de passer un message, d’ériger une dénonciation sur la société italienne et sur une bourgeoisie décadente, percluse de vices et de déviances. Salo ou les 120 journées de Sodome de Pasolini sorti en 1976 suit peu ou prou la même ligne de conduite, instrumentalisant la sexualité à but engagé en la présentant de manière dérangeante plus qu’attirante. Le film parle de notables fascistes qui, à la chute du régime, enlèvent de magnifiques jeunes hommes et de magnifiques jeunes femmes dans la ville de Salo pour se réfugier dans une villa et les utiliser comme esclaves pour donner libre cours à toutes les démences de leurs esprits et à toutes les putridités de leur cœur. L’œuvre peut être considérée comme anti-porno dans les sens ou elle se déroule dans un environnement sale, insalubre et répulsif. Le contexte est sordide et les scènes de nu et d’érotisme sont dans ce cadre extrêmement dérangeantes. En outre, la mise en scène torturée de celles-ci donne à contempler des actes de soumission sexuelle aussi horribles que malsains. Le malaise se substitut à l’excitation. Le film propose une dénonciation acerbe et virulente du totalitarisme tout en établissant une réflexion d’une noirceur extrême sur les pulsions et les désirs humains. Il pose indirectement une question terrifiante : et si nous disposions d’un espace en dehors du temps, en dehors des lois dans lequel tous nos fantasmes seraient réalisables, parfois au détriment des autres, que ferions-nous ? Que révélerions-nous de nos fantasmes, de nos pulsions, de notre personnalité profonde ?
L’érotisme est un sujet comme les autres. C’est une constituante importante de la vie qui concerne chacun. A ce titre, il mérite autant que d’autres thèmes d’être abordé. D’autant qu’il peut, malgré ses tabous, être porteur de véritables messages et de dénonciations.
Dans un genre plus léger, d’autres films proposent des interprétations plus poétiques de la sexualité. On notera à ce titre le très bon De l’eau tiède sous un pont rouge de Shohei Imamura sorti en 2003 qui, au travers d’une histoire d’amour entre un homme venu chercher un trésor et une femme “fontaine”, propose une métaphore du désir amoureux et d’une sexualité qui, après l’émoi des premiers ébats laisse sa place à des rapports moins enflammés alors que l’habitude s’installe. Mais le ralentissement ou du moins la stabilisation du désir érotique ne signifie pas une baisse inéluctable de l’amour que se portent les deux amants. Bien au contraire ! Le film pousse à s’interroger sur la différence entre désir charnel et amour. Tous ces exemples montrent bien à Bazin que la sexualité ne répond pas uniquement à des impératifs marketing et qu’elle peut véhiculer un véritable propos. Dans ces film l’érotisme est d’avantage un choix que l’absence d’érotisme en est un dans le cinéma russe que Bazin évoque comme le cinéma ”le moins érotique du monde” car ce dernier se base sur une propagande de l’idéologie marxiste. Cette idéologie basée sur l’esprit collectif ne peut pas s’attarder sur des thèmes tels que l’assouvissement des désirs et des plaisirs personnels. Thèmes intimement liés à la sexualité. Car la sexualité est un motif qui attrait à l’individualité. Des philosophies aux antipodes du communismes en somme. Le “puritanisme” de ce cinéma est donc bien, comme le dit Bazin, “beaucoup plus accidentel que la surenchère capitaliste”.
Érotisme et onirisme
La récurrence de la sexualité au cinéma ne s’explique pas uniquement par des nécessités marketing ou par une volonté des réalisateurs de faire passer des messages. Elle trouve parfois une raison plus profonde, psychologique, intimement liée au moyen de diffusion des films. Bazin développe l’idée que la salle de cinéma est un espace particulier dans lequel “la psychologie du spectateur tend à s’identifier à celle du dormeur rêvant”. Les salles obscures sont selon Bazin un espace onirique dans lequel, par identification, le spectateur peut réaliser ses fantasmes sans être jugé, sans avoir l’impression de fauter. Comme dans un rêve. La sexualité à l’écran est donc quelque chose qui stimule directement celui qui la contemple car il a l’impression de vivre et de participer à ce qu’il voit. On assiste à un effet proche de la catharsis avec une purgation des passions, cette fois érotiques. Cette notion de rêve, de fantasme et de sexualité cinématographique, Bazin la rapproche du Freudisme. Il évoque dans son chapitre la théorie du “moi, du surmoi et du ça” du célèbre psychanalyste. Le “Surmoi” représente une intériorisation des interdits parentaux dont le “Moi” est obligé de tenir compte. Le Moi est quant à lui la partie “consciente de la personnalité” tandis que le Ça est la somme des deux. Il explique que la saveur des rêves et par extension du cinéma réside dans “l’irrésistible transgression du surmoi”. A comprendre que la satisfaction que nous procure nos rêves et l’érotisme au cinéma tient du fait que nous ne sommes plus limités par nos interdits parentaux et sociaux. Les rêves et les salles obscures nous libèrent de ces éléments limitateurs de fantasmes et d’expressions des pulsions. Nous sommes libérés des barrières qui nous limitent habituellement par cet espace “en dehors du réel”.
La récurrence de la sexualité au cinéma ne s’explique pas uniquement par des nécessités marketing ou par une volonté des réalisateurs de faire passer des messages. Elle trouve parfois une raison plus profonde, psychologique, intimement liée au moyen de diffusion des films.
Selon moi le parallèle entre rêve et cinéma est cependant plus compatible avec la seconde théorie de Freud : celle du conscient et de l’inconscient séparés par le gardien. Sachant que l’inconscient recèle toutes nos passions, nos pulsions et nos déviances et que le “gardien” est une sorte de barrière de l’esprit qui les empêche de tomber dans la conscience pour nous éviter d’être inadaptés aux mœurs socialement admises à causes de fantasmes ou d’envies trop extrêmes. Cette théorie me semble plus appropriée car elle explique que les seuls moments ou des éléments de l’inconscient peuvent pénétrer dans notre conscience c’est à l’occasion de notre sommeil alors que le gardien est moins efficace car partiellement en sommeil et laisse filtrer des éléments jusque dans notre conscience. C’est pour cela que le Freud préconisait l’analyse des rêves pour la résolution des troubles psychiques. En partant de ce postulat et en considérant les salles obscures comme un espace onirique reflet de notre psychisme, on peut considérer que l’érotisme au cinéma nous permet de braver notre gardien pour laisser s’exprimer (à l’écran et par procuration) nos pulsions et nos envies inconscientes.
Qu’en est-il de l’érotisme au cinéma aujourd’hui ?
Dans son chapitre de Qu’est-ce que le cinéma ? dédié à l’érotisme au septième art et dans les arts en général, Bazin soulève des questionnements et des théories toujours d’actualité. Certains de ses questionnements ont aujourd’hui trouvé des réponses – on sait que cinéma et littérature peuvent évoquer et représenter plus ou moins les mêmes choses sans se heurter à trop de restrictions – et d’autres sont encore aujourd’hui le fruit de débats comme la question de la simulation ou non de l’acte sexuel au cinéma. Cette étude nous a également permis de dégager les différents types d’orchestration de l’érotisme au cinéma pour nous rendre compte qu’il répond a des nécessités et des buts variés : parfois commerciaux, parfois artistiques, parfois psychologiques.